La pratiques des enquêtes internes existait déjà en France notamment en matière de droit de la concurrence et de droit bancaire et financier. Cependant, son champ d’application a été fortement élargi par l’entrée en vigueur en juin 2017 de la loi Sapin II.
En effet, cette dernière oblige toute personne morale de droit privé ou public qui emploie plus de 50 salariés à mettre en place un dispositif d’alerte professionnel. Lorsqu’un salarié utilise ce droit d’alerte, l’entreprise à une obligation de vérification et de traitement de ces dernières. Pour cela l’entreprise doit accomplir des diligences qui se matérialisent, notamment, par des enquêtes internes.
Dans ce genre d’enquête interne, l’avocat apparaît comme un acteur incontournable en raison, d’une part, de ses obligations déontologiques stricts (secret professionnel), et d’autre, part, par son évaluation des risques et l’analyse fine des situations précontentieuses ou contentieuses.
Ce nouveau type de mission fait nécessairement évoluer l’exercice de la profession.
Malgré l’absence de cadre légal ou réglementaire fixant les modalités de l’enquête interne[1], il est opportun de s’interroger sur la désignation et les missions de l’avocat enquêteur (I), avant de poser les enjeux déontologiques de cette nouvelle pratique (II).
- Les différentes missions de l’avocat lors de l’enquête interne
Dans le cadre d’une enquête interne, l’avocat pourra soit tenir un rôle d’expert (A) ou d’enquêteur (B) selon les personnes qui l’ont désigné et les missions qui lui sont attribuées.
A) L’avocat expert comme témoin objectif de la situation
La nomination conjointe par l’entreprise et des représentants du personnel fait présumer le rôle d’expert sur l’avocat. Si ce n’est pas le cas, c’est la nature de la mission et les circonstances qui vont déterminer si il s’agit d’une expertise[2].
L’avocat habituel de l’entreprise ou celui avec qui elle a déjà eu des relations préexistantes doit donc être écarté pour ce genre de mission.
Cette interdiction interroge sur l’aspect de recours à « un avocat habituel », étant précisé que de nombreuses entreprise ont recours à plusieurs cabinets selon les spécialités souhaités[3]. Dans tous les cas, il doit être vu comme un tiers neutre et objectif.
Le rayon d’action de ses missions se cantonne au recueil d’informations auprès des salariés et dirigeants de l’entreprise ainsi que d’autres éléments de preuves mis à sa disposition (factures, courriers, électroniques, vidéosurveillance, etc.).
Grace à ces éléments factuels décelés au cours de son enquête, il produira un rapport consultable par les parties lui ayant donné mandat[4]. A la suite de l’enquête, un avocat expert ne pourra pas intervenir pour l’une ou l’autre des parties, pour des raisons évidentes de conflit d’intérêt[5].
B) L’avocat enquêteur au service d’un client
L’avocat enquêteur « est celui qui est mandaté par un client pour mettre en œuvre une enquête interne visant à donner un avis ou un conseil sur une situation factuelle donnée à la lumière du droit positif »[6]. Il doit conclure une convention définissant les objets de sa mission[7].
La désignation se fait a priori par la personne morale, mais il n’est pas exclu qu’elle peut être faite par une personne physique[8]. Cependant, le recours à un groupe de personnes constituant une personne morale pour mandater l’avocat semble plus opportun pour éviter des possibles conflits d’intérêt entre l’entreprise et ses dirigeants après l’enquête[9].
L’entreprise qui souhaite voir son enquête interne dirigé par un avocat peu choisir entre son conseil habituel ou un autre avec lequel il n’a pas eu de relation préexistante, pouvant laisser penser à une plus grande indépendance dans son intervention[10].
L’avocat enquêteur possède le même rayon d’action que l’avocat expert pour son enquête, celui-ci étant lui-même délimité par son ordre de mission. Les recherches faites débouchent sur des analyses juridiques, similaires à leurs missions plus « classiques »[11].
A l’issue de l’enquête interne, l’avocat peut assister et conseiller le client dans le cadre de toutes procédures amiables ou contentieuse. Seule la matière pénale pose des limites, d’une part, parce que l’avocat enquêteur ne pourra pas témoigner sur ce qu’il a conduit comme enquête[12], d’autre part, lorsque la procédure vient à l’encontre d’une personne qu’il a auditionné lors de l’enquête interne[13].
- Les enjeux déontologiques
La pratique permettant à un avocat de conduire une enquête interne en tant qu’avocat enquêteur ou avocat expert oblige le praticien au respect de ses obligations déontologiques. Les points portant le plus à discussion étant le secret professionnel (A) et les auditions opérées par l’avocat lors de son enquête (B).
A) Le respect du secret professionnel lors de l’enquête
Le secret professionnel, bien que toujours présent dans le cadre d’un enquête interne diligentée par un avocat, s’applique différemment selon son ordre de mission.
Dans le cas de l’avocat expert, ce dernier n’est pas soumis au secret professionnel. En effet, devant remettre un rapport qui sera par la suite accessible à l’ensemble des parties de l’entreprise l’ayant mandaté, le secret professionnel ne peut être exigé dans ces circonstances[14]. La justification se retrouve dans la mission qui lui est confié, qui diffère de celle s’appliquant dans le cadre d’une relation plus classique entre l’avocat et son client[15].
L’avocat enquêteur est quant à lui tenu au strict secret professionnel par nature. En effet, il y est tenu dans le cadre de la relation établie avec l’entreprise qu’il l’a mandaté, et par ricochet, sur les éléments de l’enquête qu’il dirige[16].
Dans le cadre de l’enquête interne, le secret professionnel recouvre : « les notes d’entretiens, les emails les courriers, les pièces de dossier, les rapports et comptes-rendus »[17]. Cet étendu du secret professionnel est l’un des principaux avantages de recourir à un avocat en pareille hypothèse, même si l’entreprise souhaitera rendre public les conclusions par la suite[18].
Bien que le secret professionnel de l’avocat dans une enquête interne soit de portée variable selon d’une part son ordre de mission et selon d’autre part la nature de ses mandants, il est similaire pour les deux lors de l’audition de témoins. En effet, l’avocat investigateur ne sera jamais tenu au secret professionnel envers les personnes auditionnées, salariés comme dirigeants, dans leurs relations avec la personne morale, puisqu’ils ne sont pas ses clients, ce qui est somme toute fort logique. En revanche l’avocat-enquêteur est strictement tenu au secret professionnel à l’égard de son client.
B) Difficultés particulières dans le cadre des auditions
Face aux pouvoirs qui sont potentiellement conférés à l’avocat lors de l’enquête interne, il a été mis en œuvre, par la profession elle-même, un code de conduite à respecter lors d’auditions de témoins.
Ces obligations endossées par l’avocat découlent de la déontologie de la profession, et ont été retranscrites dans l’annexe XXIV du Règlement intérieur nationale de la profession d’avocat (RIN).
- La déontologie impose, tout d’abord, la mise en œuvre d’une obligation d’information envers la personne auditionnée par l’avocat. Ce dernier doit informer la personne convoquée, préalablement à l’entretien, que ce dernier n’a en rien un caractère coercitif[19].
- Par la suite, au début de l’audition, il doit rappeler le mandat qui est le sien ainsi que la mission qui lui a été donné[20]. C’est à ce moment précis que l’avocat doit expliquer que les échanges qui auront lieux ne seront pas couvert pas le secret professionnel pour les raisons explicitées précédemment.
Au vu des conséquences que peuvent avoir les conclusions d’une enquête interne d’un point de vu disciplinaire comme judiciaire (demander de la production de l’enquête lors de l’instruction[21]), l’avocat dirigeant l’audition doit indiquer à l’intéresser la possibilité d’avoir recours à un avocat[22]. La marge d’appréciation laissé pour déclencher cette obligation pousse logiquement à proposer systématiquement la possibilité d’un recours à l’avocat[23].
Afin de contrôler au mieux la mise en place de ces obligations, il est possible d’avoir recours à un document à faire signer portant acceptation de l’entretien au vu des droits donnés au témoin[24].
Il est obligatoire de permettre à au témoin une relecture de ses déclarations[25] (Art 2.5 de annexe XXIV du RIN ).
Enfin, une obligation de prudence pèse sur l’avocat en charge d’une enquête interne. En effet, les articles 1.3 du RIN et de son annexe XXIV, interdisent tout contact avec une personne ayant une qualité de témoin dans une procédure pénale parallèle lors de l’enquête interne[26].
La pratique de l’enquête
interne par avocat ouvre de nouvelles perspectives dans la pratique de la
profession avec ces différentes formes de missions. Cependant, l’avocat n’en
reste pas moins tenu à son serment le tenant au respect de certaines
obligations, sous peine de sanction disciplinaire, lors de l’exercice de son
enquête interne.
[1] DAOUD (D) et BOYER (C) « L’avocat chargé d’une enquête interne : enjeux déontologiques » AJ Pénal 2017 pages 330
[2] GRANDJEAN (P) propos recueilli par DUFOUR (O) « L’avocat chargé d’une enquête interne, une révolution ! » Gazette du Palais -13 décembre 2016 n°44
[3] DAOUD (D) et BOYER (C) op. cit
[4] Art 6-2 al 5 du RIN
[5] GRANDJEAN (P) op. cit.
[6] DAOUD (D) et BOYER (C) op. cit.« L’avocat chargé d’une enquête interne : enjeux déontologiques » AJ Pénal 2017 pages 330
[7] Art 1.2 de l’annexe XXIV du RIN
[8] DAOUD (D) et BOYER (C) op. cit.
[9] LATOUR (D) Enjeux pratiques de la défense d’un salarié dans le cadre d’une enquête interne réalisée en France, Revue internationale de la compliance et de l’éthique des affaires, n°3, juin 2018
[10] Art 2.1 de l’annexe XXIV du RIN op. cit.
[11] DAOUD (D) et BOYER (C), op cit
[12] GRANDJEAN (P) op. cit.
[13] Art 2.6 de l’annexe XXIV du RIN
[14] Art 3.2 de l’annexe XXIV du RIN
[15] ADER (H) et DAMIEN (A) Règles de la profession d’avocat, 15ème édition, 2016/2017, §412.14, p 507 à 508
[16] Enquete interne : Interview de J-P GRANJEAN, Ethique et vie professionnel de l’avocat, Bulletin n°16, 24 oct. 2016. 14
[17] LATOUR (D) op. cit.
[18] GRANDJEAN (P) op. cit.
[19] GRANDJEAN (P) ibid.
[20] DAOUD (D) et BOYER (C) op. cit.
[21] Art 81 du Code de procédure pénale
[22] Art 2.4 de l’annexe XXIV du RIN
[23] DAOUD (D) et BOYER (C) op. cit.
[24] DAOUD (D) et BOYER (C) ibid.
[25] LATOUR (D) op. cit.
[26] DAOUD (D) et BOYER (C) op. cit.