Annoncée dès la fin du mois de février comme un « cas de force majeure » par le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno LEMAIRE, la crise sanitaire du coronavirus que nous traversons actuellement permet-elle réellement à tout cocontractant de mettre en place un tel mécanisme juridique ?
La force majeure est régie par l’article 1218 du Code Civil lequel dispose que :
« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.
Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 ».
Extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité doivent être cumulativement démontrées :
– L’extériorité, est, sans doute, la plus facile à caractériser.
– Sur l’imprévisibilité, aucune difficulté ne semble apparaître tant la rapidité de développement et les conséquences de l’épidémie sont inédites.
Néanmoins, certaines entreprises venant d’entamer une relation contractuelle, alors que l’épidémie progressait, ne pourront peut-être pas invoquer raisonnablement la force majeure.
Tout dépend donc du contrat en question, de la date de sa signature ou de l’activité concernée.
– Enfin, l’irrésistibilité est le point qui est le plus important. L’épidémie de Covid-19 justifie-t-elle la suspension totale d’exécution de son contrat ?
La jurisprudence se montre généralement prudente. Concernant le paiement d’une dette contractuelle, une épidémie de grippe aviaire ne pouvait pas présenter « un caractère insurmontable et irrésistible susceptible de lui conférer la qualification d’événement de force majeure » (CA Toulouse, 3 octobre 2019). De même les juges ont estimé qu’il n’avait pas été démontré que le virus Ebola avait rendu l’exécution des obligations impossibles (CA Nancy, 22 novembre 2010). Surtout, selon les juges du fond, il est nécessaire de caractériser un lien de causalité entre le développement d’un virus, le même Ebola, et une quelconque baisse d’activité, pour qualifier que la société qui s’en estime victime la force majeure (CA Paris 29 mars 2016).
La jurisprudence a ainsi du se prononcer sur des situations certes comparables mais non similaires.
Mais, a-t-on déjà vu l’ensemble d’acteurs économiques exerçant une activité « non-nécessaire » à l’arrêt pendant plusieurs semaines ? La moitié de l’humanité confiné en même temps ?
Si le caractère exceptionnel et contraignant de la situation actuelle ne permet d’invoquer la force majeure, à quoi bon disposer d’un tel outil ?
La réelle difficulté réside en fait dans la rédaction du contrat et l’appréciation de l’activité et du secteur concerné. Les parties sont libres d’aménager la définition, le cadre et les conditions d’application de la force majeure. L’analyse de ces clauses est donc déterminante. Souvent, celles-ci laissent la place aux négociations entre les parties lesquelles doivent être menées de bonne foi. Par ailleurs, un certain formalisme peut être exigé. Toute partie faisant face à cette situation exceptionnelle devra souvent veiller à respecter un délai, un certain moyen de communication ou toute autre exigence conventionnellement prescrite.
Il semble donc que face à la gravité de la crise actuelle, l’outil de la force majeur puisse être invoqué, toutefois cet outil est à manier avec précaution en préservant la bonne foi et nécessite une analyse du cadre contractuel, de la situation des co-contractants et du secteur d’activité, tant les conséquences d’une suspension ou d’un anéantissement du contrat peuvent être graves, l’accompagnement par un avocat peut donc se révéler particulièrement utile.