McDonald’s, LVMH, Altalian : analyse des dernières CJIP marquantes conclues par le PNF
Alors que le Tribunal Judiciaire de Paris a validé plusieurs conventions judiciaires d’intérêt public (1,25 milliard d’euros pour McDonald’s, 15 millions d’euros pour La financière Atalian, et 10 millions d’euros pour LVMH), le Procureur de la République Financier a, par le truchement de ces dernières décisions, précisé un peu plus encore les contours et la portée de l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale.
Introduite par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, aussi dite loi Sapin II, cette procédure permet au Procureur de la République de conclure une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) avec une personne morale mise en cause pour des faits d’atteinte à la probité.
C’est une mesure alternative aux poursuites, qui a pour effet d’éteindre l’action publique si la personne morale exécute certaines obligations, notamment le versement d’une amende d’intérêt public à l’Etat (dont le montant ne peut excéder 30% du chiffre d’affaires annuel) ; la mise en œuvre d’un programme de conformité et d’un plan de vigilance, sous contrôle de l’Agence française anticorruption pour une durée maximale de 3 ans ; ou encore la réparation du dommage de la victime.
La CJIP est notamment applicable pour les faits de corruption, trafic d’influence, fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale, ou tout autre infraction connexe ; pourtant, les récentes conventions signées avec le parquet financier de Paris ont permis d’apporter un éclairage intéressant sur l’application de l’article 41-1-2.
La CJIP signée le 16 juin 2022 par plusieurs sociétés françaises du groupe McDonald’s (McDonald’s France, McDonald’s System of France LLC et MCD Luxembourg Real Estate SARL) marque un précédent en matière de fraude fiscale, puisqu’elle dénote par son montant. Ce n’est certes pas la convention la plus élevée (la société Airbus avait été condamnée en 2020 à plus de 2 milliards d’euros), mais c’est la plus conséquente pour des faits de fraude fiscale, et s’inscrit alors comme un instrument à l’efficacité économique forte – alors même que la banque JP Morgan Chase avait réglé une amende d’intérêt public d’une auteur de 25 millions d’euros en 2021.
Cette CJIP fait suite à une enquête préliminaire lancée en 2016 par le PNF après le dépôt de plainte par le comité d’entreprise de la société McDonald’s Ouest Parisien, ouverte pour chef de fraude fiscale. L’enquête a ainsi révélé une pratique abusive de redevances (prix de transferts) entre la filiale française et d’autres entités à l’étranger, de 2009 à 2020.
Selon ce schéma fiscal, McDonald’s absorbait une grande partie des marges dégagées par les restaurants français, lui permettant d’éluder le paiement des impôts en France. En contrepartie de l’utilisation de la marque, les 1 495 fast-foods français versaient des royalties à la structure tricolore, qui elle-même rétrocédait aux filiales du Luxembourg (dont le taux d’imposition à l’époque était de 1,8% contre 33,3% en France) 5% de son chiffre d’affaires jusqu’en 2009, puis 10% après la signature d’une nouvelle convention avec la maison mère à Chicago.
Si ce système d’optimisation fiscale n’est pas répréhensible en soit, il devait néanmoins être justifié par des éléments techniques – ce qui n’était pas le cas ici, et ce qui a conduit McDonald’s à la conclusion de cette CJIP record.
Si la CJIP peut être prononcée en cas de blanchiment de fraude fiscale, la convention entre La financière Atalian et le procureur de la République du 17 janvier 2022, d’une hauteur de 15 millions d’euros, confirme la possibilité d’une telle procédure en matière de délits comptables – en l’occurrence, en vertu de l’article 1743 du Code général des impôts, le fait d’omettre de passer ou de faire passer de fausses écritures.
En l’espèce, il était reproché au groupe La financière d’Atalian d’avoir, dans un dossier de fausses factures, artificiellement augmenté le montant de la trésorerie – et par conséquence, du prix de cession – de deux de ses filiales, à savoir respectivement 200 042€ pour la société Elale et 2 millions d’euros pour Pinson Paysage Nord. La société Vinci Energie Ile de France avait formulé une offre d’acquisition d’Elale, dont le protocole de cession et d’acquisition fut finalisé le 17 mars 2015 à un prix s’élevant à 4 750 000€.
Au-delà de la précision du champ d’application du Code de procédure pénale, cette CJIP rappelle l’objectif de pédagogie de cet outil : cette convention met en lumière les dysfonctionnements internes et le défaut de mise en conformité, et, à ce titre, La financière Atalian sera chaperonnée par l’Agence française anticorruption.
Enfin, la CJIP « LVMH » en date du 15 décembre 2021 marque la première convention depuis la loi Sapin II en matière de trafic d’influence, un tournant dans la justice négociée.
Dans cette affaire dite « affaire Bernard Squarcini », il était reproché à l’ancien directeur du renseignement intérieur reconverti en consultant privé d’avoir usé de son carnet d’adresse pour obtenir des informations à la demande de Pierre Godé – alors numéro 2 de LVMH – sur des actions projetée par Fakir, journal et association de François Rufin, à partir desquelles étaient organisées des surveillances des membres de cette association. Certaines de ces informations auraient conduit à la captation partielle d’une copie satirique du film « Merci Patron ». Le groupe craignait que la réalisation du film donne lieu à des activités de déstabilisation de la tenue de son assemblée générale annuelle.
En 2013, Bernard Squarcini avait conclu avec le groupe de luxe des missions de conseil et d’assistance dans le secteur de la lutte contre la contrefaçon, le parasitisme et le marché parallèle illégal, qui recouvrait tant de l’espionnage industriel, du piratage informatique, que de la prévention et gestion de crise.
Si les faits ont été qualifiés de trafic d’influence, ils pouvaient également relever de compromission, de recel de violation du secret professionnel ou de l’enquête, de complicité par instigation de collecte frauduleuse de données à caractère personne, d’exercice illégal d’agents de recherche privés, d’atteinte à la vie privée et d’abus de confiance.
En revanche, de telles infractions ne rentrent pas dans le champ d’application de l’article 41-1-2 du Code – d’où le choix du parquet de Paris, par souci d’efficacité, d’abandonner la pléthore de qualifications juridiques pour caractériser cette affaire complexe de « simple » trafic d’influence, afin de pouvoir procéder à la CJIP.
D’autres auteurs ont souligné que le montant maximum théorique de cette amende d’intérêt public était de 14,5 milliards d’euros, au regard du chiffre d’affaires annuel du groupe LVMH. Pourtant, les avantages que la société a retiré de ces manquements ont été très difficile à évaluer « sur une base comptable et objectivée », justifiant ainsi le montant de 10 millions d’euros.
Au regard des efforts fournis par la société de se doter d’outils de lutte contre les pratiques illégales depuis 2015, de la négociation ne pouvant tenir compte que des faits de trafic d’influence et non des infractions connexes, et enfin de l’aléa judiciaire, les deux parties, tant LVMH que le ministère public, avaient tout intérêt à signer cette convention.
Peu de CJIP ont été adoptées à ce jour, une vingtaine seulement – on notera que près d’un quart des personnes morales concernées étaient des établissements de crédit : HSBC private Bank SA, la Société Générale SA, Bank of China et enfin la Société JP Morgan Chase Bank.
Pourtant, ces trois CJIP attirent l’attention, puisqu’elles marquent la banalisation de cette nouvelle forme de justice négociée.